Minuit dans les campagnes, c'est le repas de Noël.

Minuit, de Noël.

Minuit le repas de Noël

(Suite et fin)

   Entendez les Noëls plus vieux que les grand’mères qui les apprirent à leurs petits-fils. Ils sont naïfs comme des complaintes. Des pâtres les ont composés en gardant leurs troupeaux dans les hautes montagnes. Ils les chantaient, l’hiver, aux veillées et maintenant tout le monde les sait. Et on les chantera, assurément jusqu’au dernier jour où le fils de Dieu viendra juger les vivants et les morts.
On prie cette nuit-là avec Amour ! On est très sage et très pieux. Et Dieu qui lit au livre des âmes, y rature bien des péchés.
La messe terminée, chacun se lève, trempe son doigt au bénitier de la porte et se signe.
Regagnez maintenant, braves gens, le village et la chaumière ! Et Dieu vous garde !
Ils s’en vont par troupes, chantant encore dans l’obscurité pour se tenir éveillés et chasser la peur.
Les noëls s’éloignent et se perdent à travers le vent comme le son des clochettes attachées au cou des agneaux.
Parmi tous, en voici un que j’entendis de mon lit… car j’étais malade et ne pus me rendre à la messe de minuit. Il passa sous les fenêtres de ma maisonnette aux verts contrevents, ma maisonnette des champs :


L’enfant Jésus presque nu
A Bethléem est venu !
Allons bergers ! Vos musettes
Feront faire des risettes 
A l’enfant Jésus tout nu.

L’enfant est dans une crèche,
Sur un peu de paille fraîche
Tout pauvre et blanc comme un œuf
Entre son âne et le bœuf
L’enfant est dans une crèche.

Saint Joseph avec ferveur
Berce le petit sauveur.
Il a froid et faim… il crie
La sainte Vierge Marie
Veut consoler le Sauveur.

Mais un berger charitable
Entre dans la pauvre étable
Et lui donne pour habits
La laine de ses brebis
Le bon berger charitable !

Voilà pour l’enfantelet
Un peu de beurre et de lait !
Au paradis, qu’il vous donne,
A son tour, une couronne
Le divin enfantelet !

Je n’entends plus rien… ils sont trop loin maintenant.
Les petites lanternes s’égarent sur la neige, se dispersent et disparaissent.
On a soigneusement refermé derrière soi, en rentrant, la porte de la demeure. Car c’est la saison ou le loup rôde flairant du bout de son museau aux fentes des cuisines et des poulaillers.
Pendant la messe, la marmite pendait sur le feu et s’agitait au doigt de la crémaillère.
L’aïeul dans son grand fauteuil gardait la maison et récitait dévotement son rosaire en écoutant l’eau bouillir, le chat ronfler,  et la bûche verte chanter. Tout cela lui rappelait sa jeunesse et ses anciennes belles nuits de Noël.
Lointains souvenirs !... Doux souvenirs ! Chers souvenirs !... Revenez visiter souvent les vieux qui  attendent, au coin du feu, en toussant et en grelottant, l’ange de la dernière heure.
Si le passé de la jeunesse est le bienvenu, le passé de l’enfance est le mieux accueilli.
On a allumé devant l’aïeul la sainte bûche de Noël à laquelle pourra venir se chauffer le premier mendiant qui heurtera.
On a retiré du four le saint gâteau de Noël, dont une part sera donnée au premier pauvre qui la demandera pour l’amour de Dieu.

Que ces coutumes sont ravissantes et bénies, mes enfants, n’est-il pas vrai ?
Autour de la table en hâte se prend le léger repas de la nuit.

Les hommes à Noël, imitent les souris qu’on entend toute l’année grignoter de nuit dans le grenier.
Ce qui cuisait dans la marmite fume maintenant sur la table.
Ce qui était couché tristement en un coin de la cave se tient joyeusement debout en un coin de la nappe.
C’est le réveillon hospitalier qui réunit la famille et les amis, tout ce qui par le cœur nous retient à la vie.
Des noix sèches, le doux vin blanc et quelques bons rires !

Vive Noël !

   Et bientôt au dernier carillon des cloches dans les airs, s’achève la modeste collation, s’éteint la gaieté, et recommence le sommeil.
Bonne nuit !
Vous, vieilles gens qui m’écoutez, suivez-moi tout en bas en récitant un « Dé profundis »

   A l’abri de l’église se cache l’étroit cimetière du village. Un enclos où le bon dieu, pasteur des hommes, les parque tous à la fin, et ne leur laisse une sortie que du côté de l’autre monde.
Les morts ont entendu les cloches, ils ne dormaient pas, il faisait si froid ! Et d’ailleurs la nuit de  Noël les a, comme de coutume, éveillés. Il y avait là, quelque part, sous l’herbe commune, les grands-parents de nos amis les bûcheronnets et au milieu du cimetière, sous une chapelle lourde et triste, madame la châtelaine du manoir derrière les saules.
Les morts ayant écouté, le long du mur bas qui les enferme, les vivants venir à l’église, les ont reconnus :

« Voilà ma fiancée qui me pleure encore »

« C’est la voix de mon fils qui m’a déjà un peu oublié »

« Ma femme !  Elle a dit un « Requiescat in pace » en passant devant ma tombe »

« Ah ! Mes enfants ! Mes enfants  bien-aimés ! Vous parlez de moi, qu’il y a bien longtemps que je ne vous ai embrassés ! »

« Si je pouvais revoir mon vieux père dont le cercueil est contre la muraille du fond, proche du presbytère »

« Qu’ils sont gentils et grands, mes chers petits ! »

   Pauvres morts ! Pauvres morts ! Pour eux seuls la nuit de Noël n’est point gaie. Personne ne les ramène s’asseoir à la table de la famille auprès de la bûche religieuse.
Il faut qu’ils restent couchés sous la pierre, dans le champ de sainte poussière, avec leur croix de bois qui les garde et que le vent fait remuer.
Au milieu d’eux, monte vers le ciel la haute croix de pierre grise, la croix de tous. Elle étend ses bras autour d’elle pour bénir les morts et les retenir dans leurs tombes ; son ombre s’étend la nuit, sur le blanc linceul de la lune, qui couvre avec indifférence ou avec compassion les riches et les misérables.
Croix bénie, douce croix, que les prières que l’on récite à genoux devant toi ont de pieuses tristesses et comme la ronce est décolorée qui recouvre les marches de ton piédestal se plaint douloureusement avec notre cœur et avec nos souvenirs !
Ah ! La neige a jeté sur les trépassés un grand drap comme un grand oubli. Il fait froid autour de ces murs que du dehors ne franchissent pas les voleurs, et que du dedans ne franchissent pas les morts.
Adieu donc, petit cimetière du village, si près de l’église que toutes les prières tombent sur toi, si près de nos demeures que le soir, quand le soleil se retire, l’ombre des toits s’allonge sur tes fosses. Dans nos plus belles fêtes, ton souvenir nous met le repos au fond de l’âme. Dans nos plus dolentes misères, ta pensée nous apporte le courage et la résignation.
Mon petit cimetière où dorment ceux qui nous aimaient, où nous irons aussi dormir à côté d’eux…
 Au revoir ! Au doux revoir !

Pardon, mes enfants, si le conteur est triste quelquefois.
Vous ne savez pas encore ce que c’est que la mort. Pour vous, les enterrements sont des processions.

 Oh ! Mon Dieu ! Chut… Chut ! Si votre mère, un jour, n’était plus là pour vous embrasser à l’heure du sommeil ! Et votre aïeule pour vous chérir et vous bénir au moment du réveil !
Éloignons nous de cet enclos du bon Dieu, mes enfants !
D’ailleurs, tout le monde est parti, tout le monde est rentré.

   En regagnant sa chaumière, plus d’une paysanne entendit le bruissement des ailes des anges ; car, la nuit de Noël étant terminée, ils remontaient aux cieux.
Les cloches se taisaient dans le clocher. Elles pouvaient dormir maintenant jusqu’à l’aurore, comme les enfants.
Les animaux aux étables s’étaient recouchés sur les litières.
Les oiseaux rassasiés et contents avaient regagné leur gîte et remis la tête sous leurs ailes.
Le monde est tranquille, heureux car l’enfant Jésus est né. Désormais, il y a quelqu’un pour le protéger et l’aimer.

Bonne nuit aux grands bœufs, aux timides agneaux, aux oiselets !

Bonne nuit aux laboureurs dans la cabane, aux bergers sous la hutte !

Bonne nuit au petit Jésus qui, sur la paille de sa crèche s’endort en bénissant la terre ! 


Fin


Lien vers la 1ère partie : minuit dans les campagnes, c'est la messe de Noël

Sources: : Le sabot de Noël, Aimé Giron, 1895, gravure Léopold Flameng.
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