Les prés, les foins, la campagne en Auvergne.


Les prés, les foins, la campagne en Auvergne.

CPA Cantal Champs sur Tarentaine

  Dès les premières brises de mars, les prés s’éveillent du sommeil hivernal. La neige fond lentement par larges plaques, et déjà, dans les haies, le noisetier chatonne. Au pied des vieux murs, des rangées d’arbustes, la violette embaume. Un soleil jeunet, vernisseur de bourgeons, empourpre les monts crêtés de neige.
   Et par un de ces matins d’avril, bleutés, humides, doux comme des yeux d’annelet, les prés à l’herbe rase, roussie par les gelées, boivent de nouveau la lumière.
   Minables, ils rappellent ces malades qui ont gardé la chambre durant un long hiver… Feuilles mortes et brindilles pourries les jonchent ; les orages de l’été ont charrié terres et cailloux sur le gazon et les pluies patientes de novembre ont effacé les « rases ».
   Mais bientôt, sous les brillantes averses printanières et les coups de soleil, clairs comme des flambées de genêts, les prés verdoient, commencent à fleurir.
   C’est l’époque ou les jeunes filles s’en vont cueillir par prés et champs, le long des fossés poudreux, le pissenlit nouveau et la doucette tendre.
   Puis, un jour, les villages envahissent les prés ; les femmes arrachent, avec le râteau, feuilles, bogues, écales emmêlées dans les herbes ; Les enfants épierrent ; les hommes curent ; creusent les « rases », chargeant les détritus dans les « charrilles » crépies de bouse qu’ils vident ensuite dans les chemins ; des filets de fumée bleue s’élèvent des tas de feuilles que l’on fait brûler en parfumant ces journées de printemps d’une acre odeur d’automne.

   Leur toilette saisonnière achevée, les prés proprets, peignés, lustrés, étincellent tout neuf sous le soleil. L’eau limpide des «serves » coule dans les rases en faisant trembler les clochettes jaunes des coucous et des boutons d’or. Le matin, les gouttelettes de rosée perlent à la pointe des herbes naissantes comme des pleurs au bout des cils…
   Sous les flambants soleils de juin, les prés drus, montants, multicolores, ronflent comme des incendies.
   Abeilles et guêpes butineuses, papillons diaprés, libellules graciles voltigent pêlemêle au-dessus des hautes herbes et des fleurs.
   La scie aigre des grillons couleur de feu, des cigales brunes, des sauterelles aux détentes mécaniques, accompagne se bourdonnement de ruche. Piquetées de bleuets, les graminées frêles courbent leurs épis trop lourds. De chaudes et capiteuses senteurs de miel, d’angélique et de sureau flottent dans l’air ; en suivant les traverses, les adolescents rêveurs effeuillent les marguerites blanches…
   Les prés verts, chatoyants, embaumés comme des jardins vont mourir. Leur glas tinte dans les villages ; Le bruit clair et monotone des faux que l’on martèle monte des vallées.
   Un matin, les prairies à peines éveillées, barbouillées encore de brumes nocturnes, frémissent.
   Les chemins rocailleux résonnent sous le pas des bourreaux. Ils arrivent en file indienne, la faux étincelante sur l’épaule. Leurs chemises à carreaux baillent sur leurs poitrines velues ; les nerfs et les muscles cordent et bossellent leurs bras bronzés ; Sous l’ombre rude des larges chapeaux de paille, les visages se durcissent et les yeux lancent d’inquiétantes lueurs… Une étroite ceinture de cuir serre les reins de chacun en retenant contre le bas-ventre, le coffin de bois, plein d’eau, où trempe la pierre à aiguiser.
   Les faucheurs sont en ligne à la lisière du pré. Le chef de file prépare, à petits coups de taillant, sa place de départ ; puis d’un large mouvement, il envoie siffler la lame dans le gras du pré, et ran ! ran ! ran ! Le premier andain croule.
   Successivement, les faucheurs légèrement échelonnés, entrent en action. Une longue ligne brisée de dos bigarrés, ployés en deux, ondule, avance pas à pas. Chaque faucheur abat son rang, sans effort apparent, en balançant régulièrement le tronc et les bras avec une mesure, une plénitude admirables.
   Parfois, la faux crisse sous les dents d’un cailloux, rase une taupinière, sabre une vipère, une couleuvre endormie ; Alors le malchanceux s’arrête, essuie d’un revers de main la sueur qui coule de son front et maintenant entre ses doigts, par la pointe, la lame dont il appuie le talon sur son genoux, il en aiguise longuement le fil sonore avec la pierre dégoûtante d’eau…Puis, il repart, et pousse fort la faux car le faucheur suivant le talonne…
  C’est qu’ils ont leur fierté, les faucheurs de chez nous ! Nul ne veut passer pour retardataire et mériter ces offensantes appréciations qui se colportent de villages en villages.

-"Ah ! ah ! celui-là, ce n’est pas un rude homme…ni un de ces plus vaillants…"

   Et si un pari s’engage entre ces bravaches, aimant également la gloire et le bon vin, il faut voir comment se tendent les reins et comme se crispent les paumes calleuses sur les mancherons tors !
   Les prés naguère si chevelus, couverts maintenant d’herbes coupées, vagues concentriques, bourrelets parallèles comme des sillons, ressemblent, là, à une mer, ici, à un champ labouré.


CPA Cantal les foins   Le temps des faneuses est venu. Les râteaux font des virevoltes, éparpillent au soleil et au vent toutes ces herbes et ces fleurs suppurantes de sucs laiteux, humides encore de la dernière rosée.
   Après avoir été épandu, tourné et retourné maintes fois, rissolé sur toutes ses faces, le foin blond, léger, bouffant, frisé comme du tabac, et bon à engranger.
   Cahin-caha, les chars gris et mâtés, que traînent des paires de vaches rouges, grimpent vers les prés. Depuis l’aube les faneuses râtellent, érigent des montagnes de foin dans les parties les plus accessibles du pré. Deux robustes filles montent dans le char, elles reçoivent à pleins bras, terrassent, piétinent comme une vendange les lourds et tournants paquets de foin que des garçons râblés leur présentent au bout des fourches en frêne à trois becs. Le pâtre, planté devant l’attelage, surveille les vaches et les émouches avec une baguette de coudrier. Les sauterelles crépitent, les taons bourdonnent, la sueur ruisselle des visages apoplectiques, les chemises de toiles et les brins de foin se collent à la peau moite, une poussière brûlante pénètre par le nez, la bouche, et dessèche la gorge.


Photo noir et blanc , faneurs
 Faneurs

   A midi, c’est le repas, à l’ombre épaisse de quelque frêne, près de la source qui glougloute ou sous les vergnes au bord du ruisseau ; les bouteilles de vin rouge et de café noir, calées entre les pierres luisantes, se rafraîchissent dans l’eau vive. Assis, couchés sur le gazon, à l’entour des nappes blanches, faneuses et faneurs se reposent de l’épuisant labeur. Les bons moments que ces repas agrestes ! On se gave de « pompe » de sarrasin enduites de beurre ou de confiture, d’écuellées de lait crémeux et de brisure de pain bis, de saucisson fumé aux poutres durant l’hiver et de ce lard d’Auvergne au goût unique de noisette…Pour finir, on croque des « cabecous », ces savoureux fromages de chèvre, ronds, plats, durs comme des galets.
   Là-bas, au milieu du pré, l’air bleu danse et ses flammes lèchent les flancs des tas de foin ; un grésillement qui semble ne devoir finir jamais emplit l’étendue ; assourdis par ce cliquetis du plein été, bêtes et gens somnolent.
   Après une courte sieste, les travailleurs, les mouchoirs flottant sur la nuque, se remettent vivement à l’ouvrage, car un orage soudain peut éclater et si on le laissait faire, le soleil féroce aurait tôt grillé les foins et lampé leurs vertueux arômes.

CPA Cantal les foins
   Au crépuscule, les prés, sans un fétu, ras, nets, prometteurs de regain reverdissent déjà.
   En traînant les sabots, faneuses et faneurs, râteaux et fourches sur l’épaule, suivent les derniers chars, ballonnés, hauts, qui cahotent dans les chemins en faisant crouler des pans de murs et en laissant accrocher, aux basses branches, des touffes odorantes.
   Là-haut, dans la nuit qui s’étoile, sous le serein qui tombe, les prés esseulés, nus, frissonnent.
   Et de partout, le long des pentes, des roues lentement gémissent et des voix graves psalmodient :
- Prou…Ani…A…A…!
Les foins rentrent. 



 Sources: Au Pays d'Artense, Léon Gerbe. écrivain, poète Auvergnat natif du cantal, de Embort près de Champ sur Tarentaine.
                Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.              
                Photo: Alain Michel


Sources : Les Albums de photos originales et inédites © Regards et Vie d'Auvergne



Commentaires

  1. Léon Gerbe, décédé en 1985, et déjà oublié... Une fine écriture, assurément, marquée par l'influence de Giono et de Pourrat, trop fine pour le goût des jeunes lecteurs d'aujourd'hui, dirions-nous! Cela étant un très grand écrivain, visuel, porté sur une stricte vérité ethnologique de l'Artense, celle des vallées du Cantal nord, même si, en vérité, il a passé le plus clair de son temps hors de la région qu'il décrit.
    Une association assez active a longtemps porté sa mémoire, mais tout finit par s'effacer...

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