Le Béarnais Perrot et la prise de Montferrand, Puy-de-Dôme, en 1390.


Montferrand et Perrot le béarnais.

Gravure de Montferrand jadis


Je serai bref, véridique et précis.
C’est en l’an mil trois cent quatre-vingt-dix
Que, nuitamment, fut surprise et pillée
La ville forte et bien embastillée
De Montferrand. Fière de ses remparts
Et des lys d’or ornant ses étendards,
Près de Clermont la ville épiscopale,
Elle dressait sa haute tour ducale,
Son vieux Chastel, ses murs et ses clochers.
Se croyant bien à l’abri des archers,
Des lansquenets (1) et de tous hommes d’armes,
Elle vivait paisible et sans alarmes.
Sans redouter, derrière ses marais,
Ni les routiers, ni les soudards anglais,
Elle voyait confiante et hautaine
Paisiblement couler la Tiretaine.

Qui pouvait donc prévoir un tel malheur ?
Or, quelques jours après la chandeleur,
Par une nuit froide, venteuse et sombre,
Sournoisement, sans bruit, glissant dans l’ombre,
Vers Montferrand marchaient trois cents routiers.
Armés, casqués, tous : arbalétriers,
Hommes de pied, cavaliers portant lance,
Par les sentiers cheminaient en silence,
Ou chevauchaient dans le brouillard épais,
Leur chef étant Pérrot le Béarnais.

Les Jacquemards avaient sonné dix heures,
Les bons bourgeois rentrés dans leurs demeures,
Entre leurs draps se glissaient doucement,
Bénissant Dieu d’avoir bon logement,
Bon feu, bon lit, par ce temps effroyable.
Seul dans la rue errait un pauvre diable
D’ivrogne ou bien quelque jeune muguet.(2)
Bertrand Feydit, capitaine du guet,
Ayant bouclé son pourpoint de futaine(3)
Et mis ses longs souliers à la poulaine,(4)
Allait partir pour veiller aux remparts.
Sa femme alors lui dit : « Mon ami, tu pars,
Quel temps affreux ! Il fait un noir de suie. »
Sur le vitrail on entendait la pluie
Qui clapotait ; Et le vent mugissait.
Le capitaine à part, lui gémissait.
« Quel triste honneur d’aller monter la garde,
Lorsqu’une épouse aimante vous regarde,
Près d’un feu clair sur les chenets rougis,
Et qu’on se sent si bien dans son logis.
Par saint Avit ! Que le diable m’emporte
S’il est besoin d’aller garder la porte
De la cité, par ce temps de sorcier.
Il vente ; il pleut. J’irais rouiller l’acier
De mon haubert et faire la parade,
Quand rien ne bouge. Et quel batteur d’estrade,
Quel tard-venu, routier ou malandrin
Songe à cette heure à prendre le serein ?
Restons chez nous tranquille, et que la bise
Siffle aux remparts et sur le pont de Bise. »

« Jehan, dit-il, approche, viens céans.
(c’était son fils, garçonnet de quinze ans)
Ceins ma rapière et remplace ton père.
Vers les remparts, tu trouveras, j’espère,
Les vingt bourgeois de garde cette nuit.
Prends le chemin de Gaultier, qui te conduit
Jusqu’à la tour de Belreguard. Evite
Les escholiers et les voleurs. Va vite
Et reviens-t’en. Que je puisse savoir
Si les bourgeois du guet font leur devoir. »
Jehan tout fier de porter la rapière
Sort en prenant une allure guerrière,
Et cheminant vers la porte à grand pas,
Au lieu de vingt, trouve quatre soldats.
Ces braves gens de la milice urbaine,
Ne voyant pas venir leur capitaine,
Transis de froid, songeaient qu’en leur maison
Ils seraient mieux près d’un rouge tison.

« Jehan, dit l’un, mon mignon, ce repaire
Est fort malsain. Ne dit rien à ton père
Et nous irons nous mettre sur le flanc
Dans un bon lit. Tiens, je te donne un blanc(5),
Chacun de nous te donne égale somme. »
Ces quatre blancs séduisent le jeune homme.
« Marché conclu, » dit-il, et les bourgeois
Dans leurs maisons rentrant en tapinois,
Laissent l’enfant seul gardien de la porte.
Lorsqu’il se voit isolé de la sorte
Jehan n’est plus si fier et n’osant pas
Incontinent revenir sur ses pas.
Va dépenser, que le ciel lui pardonne !
Ses quatre blancs, hôtel de la Couronne.


Pendant ce temps, Géronnet Ladurant,
Par ruse entré la veille à Montferrand
Comme marchand arrivant pour la foire,
Observait tout, glissant dans la nuit noire,
Le long des murs. Lorsqu’il eut vu le guet
Se disperser et Jehan qui trinquait,
Faisant sonner ses blancs hors de sa bourse,
Vers les remparts, rapide, il prit sa course,
Du haut des murs, promenant son regard,
Il entrevit tout près dans le brouillard,
Le Béarnais et sa nombreuse escorte.
A son signal se ruant sur la porte,
Les compagnons l’ouvrirent ; et bientôt,
Avec ses gens, le Bearnais Perrot,
Sans coup férir, passa le pont de Bise ;
Et les routiers crièrent : Ville prise !
Leur voix stridente éclate dans la nuit ;
Et, s’avançant en hâte, ils font grand bruit,
Criant, frappant. Cette rumeur lointaine
Fait tressaillir le jeune capitaine.
Il se repent d’avoir si tôt quitté
Le guet, laissant ouverte la cité ;
Et, se levant, il court plein de courage
Vers les fossés d’où vient tout ce tapage.
Il voit bientôt, sous l’ombre des pignons,
En rangs serrés, marcher les compagnons
Qui vont barrant la ruelle déserte.
Sans hésiter il crie : Alerte, alerte !
En brandissant sa rapière, il défend
A l’ennemi de pousser plus avant…

Mais un routier le perça de sa lame ;
Et, s’affaissant, le pauvret rendit l’âme.


 



1-lansquenet: mercenaire
2-Jeune muguet: galant, élégant
3-futaine: étoffe de fil et de coton naturel.
4-Souliers à la poulaine:Chaussures allongées  du moyen-age
5-blanc: monnaie d'argent très répandue en France







Sources : Poèmes d’Auvergne, Gabriel Marc,1882, illustration: Gallica
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