La chasse.



"Dans la maison, le feu rose faisait danser les ombres
Sur les cloisons de sapin…
Au dehors, le brouillard courait sur le bois des Vaures
Où sont les nids de tourterelles aux branches des fayards,
Et sur les bois des Aiguilles où sont les « caves » à renards
Sous le granit et les ronciers."



La chasse, en Auvergne.

  
Le Tienne, chasseur d'Auvergne




"Courir tant de pays pour rapporter un geai de bois !
  Dé ! Ça vaut pas la poudre que ça fait brûler !..."












   Cette année, j’ai pris le fusil une fois, à force d’entendre mes chiens mener un lièvre dans le bois des Vaures, et je n’ai pas tué ce lièvre. J’avais mal choisi mon jour, aussi, c’était un dimanche. J’attendais, sous un fayard, bien tranquille à rouler une cigarette, quand je le vois s’amener de loin, les deux oreilles en l’air. J’épaule le pétard, je me prépare…Nom de nom ! De nom de nom !... Voilà les filles de Chemintrand qui sortent d’un raccourci, tant qu’elles pouvaient crier, en allant à la messe. Vous pensez si l’autre a changé de chemin !...Il faisait bien dix livres.
   Oh ! Je me suis mis à sacrer après ces filles, tout mon plein soûl. On ne peut
pas dire qu’elles en étaient cause, mais ça soulage de jurer le monde, quand on est pris de colère…

   Pour du gibier, il n’y en a plus. Juste avant la guerre encore, tant de lapins pointaient leurs oreilles en travers des labours qu’on ne savait pas lequel viser. Des matins, les perdrix, les rouges et les grises, poussaient leur chanson dans la bruyère, que ça faisait plaisir à entendre ; on en descendait toujours deux ou trois quand la compagnie prenait l’air à la portée du fusil qui pétait dans le tas. Et les grives… ! Quand venait le temps de la graine, moi et le Toine, ç’est mon frère, on se prenait, on coupait trois fagots de genêt, on les montait droit sur quatre piquets, franc devant le gros sorbier. Ces caches de branches, ça s’appelle des loges…Tu te fermes là-dedans et tu les attends venir faire leur petit repas en travers des branches. Du temps que je vous parle, il en venait des bandes à  boucher la lumière du jour : des petites, du pays, et des grosses bardelées qui montent des plaines après les vendanges.
    Le Toine et moi, on guettait notre moment et tous deux ensembles, on lâchait le coup. Ça remuait dans l’herbe, au pied de l’arbre, ça secouait sa plume un bout de temps et on ramassait une bonne douzaine d’oiseaux encore tout chauds de vie, avec les pattes en l’air et la tête qui se balançait…
   A part que je chassais toute l’année et que je ne prenais pas de permis, je suis en règle avec ce qui se doit. Moi, je n’en suis pas pour le lacet, on chasse honnêtement ou on reste  tranquille. Ces permis, si j’avais voulu, ce n’est pas aux sous que je regardais, mais c’était une manière que j’avais de me foutre des gendarmes… Si j’avais eu mon papier dans ma poche, avec mes noms écrits dessus, avec le tampon de la préfecture sur des signatures si mal faites qu’on ne peut pas les lire, eh ! Bien, je n’aurais pas eu ce même goût à me promener le fusil en travers de l’échine…
   Moi, ça m’allait de faire courir les « cognes ». Des jaloux, comme il s’en trouve partout, s’en allaient au bourg tournevirer autour de la gendarmerie. Histoire de m’embêter ou de se faire payer à boire par les habillés de bleu, ils disaient :
 
-« Les portées de lièvres doivent bien venir, du côté des Pradeaux… Le Tienne et le Toine n’étaient pas en retard pour faire péter le fusil par là-haut, ce matin… » 
 
   Moi et mon frère, ça nous faisait rigoler quand on était instruits de ça, par les uns, par les autres. A la pique du jour, le lendemain, on montait aux Pradeaux. Les deux y étaient déjà à nous attendre… on faisait partir un coup et on fichait le camp, tant qu’on pouvait courir, par des rochers pleins d’épines qu’on connaissait bien et d’où les autres ne pouvaient pas sortir. Pour les voir tirer leurs guêtres de là-dedans, j’aurais donné bien quelque chose… !
   Des fois, nous ne le faisions pas exprès. Ils nous tombaient dessus sans qu’on s’en méfie. Oh ! Bougre ! Il fallait garder sa tête et se confier à ses jambes !
   Une fois, je tenais par les oreilles un gros capucin que je venais de ramasser. Vous pensez bien que je ne voulais pas le laisser à ce grand feignant pour lui faire son civet… Je ne sais pas d’où ce gendarme était sorti. Je l’ai vu seulement planté à trois pas de moi. Le temps de l’entendre me crier :
 
-« Ah ! Cette fois, je te tiens !... »
 
  Et il me vient dessus ! Un grand gaillard, tout en longueur… En voyant ses jambes, je me dis :

« Il me suivra à la course !...»

   Je n’avais pas le temps de tourner beaucoup d’idées dans ma tête, et je sentais que son camarade devait se dépêcher d’arriver. Qu’est-ce que je fais ? Je cours droit sur le ruisseau, qui faisait à cet endroit, un petit gourg, sous une planche comme pont. Je savais la planche pourrie. A tout risque, je m’emmanche sur cette planche qui me porte et quand l’autre met le pied dessus je flanque en travers un coup de talon qui la partage en deux et m’envoie le citoyen boire un bouillon de grenouilles. Pendant qu’il se levait de dans cette eau, ça m’a donné le temps de prendre un peu d’avance et de me sauver…
Il y avait de quoi se faire du bon sang avec cette peur d’être pris  qui ne nous laissait jamais tranquilles !

  Une autre fois, je suivais un autre lièvre au chemin de Famplat ; il faisait sec depuis quelques jours ; la rosée du matin s’était envolée sans poser du frais à la pointe des herbes : tout ça faisait que mon Finaud sentait mal, il avait perdu la trace de la bête, ce chien ! Lui et moi, on tournait par les genêts, par les fougères, par les plantations d’épicéas, quand je le vois s’arrêter !
« Il a entendu quelque chose, le Finaud » je me dis.
   Les chiens ça a l’oreille plus fine que les personnes. Je regarde du côté où il était tourné et derrière des feuilles je vois comme quelqu’un d’arrêté.

« Foutre ! C’est encore eux ! » 

   Je me pense, en prenant ma course, quand j’entends :
 
-« Oh ! Pauvre Tienne, ne courez pas tant…ce n’est rien que moi, la Françoise de Jean le Trèfle, la belle sœur du Toine… J’ai mangé trop de prunes… » 

Que cette femme m’avait fait peur, tout de même !

   Il y a quarante années de ça. Je ne chasse plus guère aujourd’hui, faute de gibier…. S’il s’en trouvait encore, j’aurais toujours mon fusil à portée de main, que ce soit le temps de la chasse ou non ; les affiches qu’ils placent à la porte des mairies pour vous dire si vous devez tirer ou si vous ne devez pas tirer, ça fait pas grand-chose aux chasseurs des campagnes… 
   Vous croyez que ça les regarde ceux-là du gouvernement ! Ce n’est pas eux qui ont mis la graine du gibier chez nous ?
 Eh ! Bien alors…

   Quand je dérange quelque lièvre par mes champs avant l’ouverture, vous pensez bien que je ne vais pas leur demander si ça leur va ou si ça ne leur va pas que je lui envoie une charge de plombs dans le derrière ! …






Sources : Auvergne littéraire, village, Marguerite Sapy, illustration J.Mario Pérouse
                © Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
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